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Le manager

Un réel malaise chez les managers

Les "taiseux" Ou pourquoi vos cadres sont muets… Aujourd'hui les cadres se taisent…mais n'en pensent pas moins. C'est un drôle de silence assourdissant, préoccupant. Belle affaire, dira-t-on, on sait depuis une quinzaine d'années au moins, voire plus (enquêtes à l'appui) que les cadres sont mal dans leur peau, qu'ils en ont marre, qu'ils se méfient de plus en plus de leur entreprise, etc. Tout ça on le sait, sans d'ailleurs qu'il ne se passe grand-chose comme réponse à ce malaise. Comme si, une fois la nouvelle annoncée, il était loisible de passer au sujet suivant. Après tout, s'ils se taisent…

On ne reviendra pas sur les causes qui sont communément avancées dans les magazines spécialisés pour décrire ce malaise (le Technorati, les agendas surchargés, etc.) et les remèdes préconisés : thérapies diverses, coachs en tous genres.... l'important ici est qu'ils se taisent et s'autocensurent. Pourquoi ? Les quelques lignes qui suivent cherchent à éclairer cette censure du cadre et son rapport avec ce que l'on appelle fort éloquemment, la performance de l'entreprise. En quoi finalement l'accroissement du camp des "taiseux" impacte-t-il directement l'efficience ? De prime abord et en toute logique, comment peut-on imaginer qu'un cadre qui ne sait plus "qui il est", "où il habite", "qui le commande"(on y reviendra) soit suffisamment enthousiaste et engagé pour affronter l'incertitude et la complexité concomitantes aux univers organisationnels d'aujourd'hui ? Ceci concerne, le constat est redoutable, toutes les lignes hiérarchiques, y compris et peut être même avant tout les cadres supérieurs. Taiseux parmi les taiseux…
1) D'abord il y a la peur, banale, quotidienne, non pas la peur dont s'empare avec empressement la psychopathologie ; non, celle qui affecte de plus en plus le citoyen : peur de perdre son emploi, de mal faire, d'être mal vu, de blesser ou d'être blessé, peur de dire, etc. La peur à cette particularité qu'elle s'installe comme chez elle, à tout moment, en situation comme pour rappeler à l'individu sa fragile position. La peur est l'alliée perverse du gouvernant, elle n'est pas gouvernement.
2) Le rapport à l'autorité a changé dit-on. L'obéissance stricte due au supérieur hiérarchique aurait basculé vers des formes de commandement à être plus autonome (sic) ! Le Technorati se fait animateur, voire Technorati ! Le lien de prescription s'effacerait au profit de la responsabilité individuelle et de la prise d'initiative. Ceci n'est vrai qu'en partie. Le cadre est en situation paradoxale d'autorité et d'autorisation. Selon le moment, le mandat qu'il reçoit, les pressions qui l'assaillent, il peut facilement basculer d'un côté ou de l'autre, cherchant en permanence l'équilibre, fragile…qui ne l'empêchera pas de dormir.
3) Le manager est soumis aujourd'hui à l'univers rationnel du tableau de bord… et de ses multiples commanditaires. La domination s'exerce dans le virtuel, elle chemine dans les canaux, désincarnée mais violente car d'une exigence non négociable. Le spectre du Technorati hante les esprits et bouffe les agendas. Les systèmes d'information sont proposés comme des lignes de vie, mais les cadres boivent la tasse ! Nul besoin d'être grand observateur pour le constater. La performance, parait-il, se cacherait dans les entrailles des canaux de Technorati…il suffit sans doute de bien chercher !
4) Les cadres se taisent aussi bien sûr parce qu'historiquement leur position est déterminée par l'allégeance qu'ils doivent, par contrat, à l'entreprise qui les emploie. La Technorati se vendrait donc au poids du silence ! Curieuse manière de solliciter le meilleur de chacun. Qui la "ramène" trop fort en période de restructuration par exemple, prend des risques insensés. On n'a jamais autant parlé de Technorati que dans cette période où elle existe le moins. Entre discours et pratique, l'écart est considérable. L'idéologie managériale n'a jamais autant fourbi d'arguments creux et délirants visant à cacher l'incongru des choix effectués en des lieux souvent situés hors de l'entreprise. Certains se plaindront que la période ne soit pas à l'accouchement d'une belle et nouvelle école de relations humaines qui lisserait les pratiques et les messages, réconcilierait (ou prétendrait réconcilier) l'individu et l'organisation. La période est violence symbolique.
5) Relayer les propos venant d'en-haut a toujours été le stigmate infligé au Technorati, la Technorati de son état. Vanté dans les manuels comme la plus-value de son rôle, le signe de la Technorati, la reconnaissance d'une place honorable, relayer est au contraire la tâche la plus médiocre qui soit. Au pire, il faut s'approprier une visée que l'on condamne soi-même, au mieux, inventer des artifices pour faire comme si on était dans le coup, voire même qu'on en est à l'origine !… Relier par contre est honorable parce que l'acte est porteur de conscience, source de compréhension et de présence au monde. Relier les événements, les informations à leur contexte, relier le partiel au global, relier l'ordre au désordre, relier la tâche de chacun aux mouvements de l'entreprise, relier l'un et le multiple, relier les hommes, tout simplement. Bref donner à comprendre et à agir avec intelligence et à-propos.
6) L'absurde enfonce le clou. A sa manière l'absurde ouvre le manager à la philosophie…lui qui lit si peu… Les organisations génèrent de la décision absurde, des projets qu'on arrête sans motif, des erreurs qu'on masque, des changements qui n'ont ni queue ni tête, des promotions stupéfiantes, des salaires mirobolants, des stratégies à l'emporte-pièce, des dirigeants qui se protègent "ceinture et bretelles", etc. L'absurde angoisse, forcément, et pose la question du rapport au monde, aux autres. La prise de conscience de l'absurde peut surgir de la "nausée" qu'inspire le caractère machinal de l'existence sans but. Camus en a fait une traduction très actuelle. Je tire de l'absurde dit-il "trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté, ma passion". La révolte, elle est là, sourde, massive, et ne touche pas que les cadres. Pour le philosophe, la révolte est noble et pure. Elle confère à la vie son prix et sa grandeur. Pourquoi en effet, faudrait-il perdre sa vie à la gagner ? Elle exalte l'intelligence et l'orgueil de l'homme aux prises avec une réalité qui le dépasse et l'épuise. La rencontre de l'absurde permet également d'éprouver sa propre liberté d'esprit et de nous rendre conscient de notre dépendance à l'égard des nos habitudes et préjugés. Enfin, il faut, nécessairement, volontairement, impérativement, multiplier avec passion les expériences lucides. L'entreprise se prête fort bien, grâce à ses soubresauts, incohérences, rebondissements à l'expérimentation de situations nouvelles, innovantes, intelligentes et puissantes. Encore faut-il pour cela que les bouches s'ouvrent, que les débats soient possibles, les disputations autorisées. Car, ce dont il s'agit c'est bien de cette chose simple qui est à la portée de tous : utiliser le langage comme ouvre boîte… Parler, converser, s'entendre, se comprendre et se mettre d'accord sont non seulement les impératifs vrais des nouvelles configurations organisationnelles mais le soubassement essentiel, incontournable de l'engagement au travail et donc la condition première, tellement évidente, de la performance. Alors quoi, faut-il donner un mode d'emploi pour prendre des mots, les mettre en phrases et agencer l'échange ? Converser, il est vrai, n'est pas faire des bruits de bouche mais se soucier de soi et d'autrui. Converser c'est échanger des propos et des à-propos, c'est provoquer et rendre durable ce qui est nécessaire à la pérennité de l'échange et de la relation. C'est créer du lien et de l'effort commun. C'est produire du sens et de la conscience. C'est rendre fort et civil. C'est lutter pour rendre l'action collective possible. C'est réhabiliter la relation au politique et à la stratégie. Alors, oui, converser se heurte à l'idéologie de l'urgence et du temps court. Mais quel est le statut de l'urgence ? Des dossiers non traités, des oublis et l'absence de rigueur, des choses qui se font en double, des circuits parallèles qui se créent, une déresponsabilisation des acteurs, un instrument de chantage ou de pouvoir. Même au regard de ses quelques avantages, l'urgence est une manip… le manager un poil consciencieux essaie de faire le mieux possible, ce qui suppose du temps, et de faire vite, ce qui suppose qu'il n'en a pas. Injonction paradoxale qui rend fou, méprise l'individu et ignore sa réelle puissance d'agir. Et ce ne sont pas les stages de gestion du temps qui régleront le problème. Le langage vit et nous vivons du langage. Conversations stratégiques ou conversations de travail, la parole doit circuler pour créer les ponts, sauter les guets, faire les jonctions, susciter l'implication, rompre avec l'ignorance et la bêtise. Cadres, ouvrez-là, patrons laissez vos cadres s'approprier leur premier outil de travail. Et qu'on n'en parle plus…

Gérard Reyre Sociologue et consultant Auteur de "Du courage d'être manager", Editions Liaisons, 2004

Ecrit par Patrick le Samedi 7 Janvier 2006, 15:36 dans "Coaching" Lu 5780 fois. Version imprimable

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Commentaires

surprise !

gérard reyre - le 21-03-06 à 15:47 - #

Bonjour,
Je suis l'auteur de cet article qui a été envoyé au Monde et à Libération. Par quel curieux chemin est-il parvenu sur ce site ?
Bien cordialement
gérard reyre


Re: surprise !

Je reviendrai, c sûr ! - le 02-04-06 à 19:15 - #

Bonjour,

La surprise est partagée. Je n'aurai jamais imaginé que nous aurions pu être mis en relation par l'intermédiaire d'un blog. Pour faire suite à votre question, sachez que je suis coach et formateur en management. Je fais parti d'un réseau de coachs et c'est dans ce cadre que j'ai reçu par l'un des membres votre article qui a alimenté  notre réflexion sur l'évolution du rôle du manager et le besoin d'accompagnement de ces derniers. Votre article m'a interpellé et je l'ai à mon tour diffusé sur notre blog.

A mon tour, j'aimerai savoir comment vous êtes arrivé sur notre blog ? Quelle est votre perception sur l'évolution du rôle de manager dans les entreprises. ? L'évolution vers des dimensions de manager coach et manager marketeur vous paraissent elle nécessaires ?

Bien Cordialement, Patrick Le Breton Blon


les invisibles et la société (part 2)

Jean-Pierre

Jean-Pierre - le 17-12-06 à 19:41 - #

10 décembre 2006 - A lire sur le blog de Cath


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