Le " don " en marketing
Marketing et anthropologie
Sommaire
- Donner est une façon de rendre
- Le don est d’abord un acte, un événement
- Le don crée de la reconnaissance
- Le don comme prémisse du contrat : le hau, la mana, et la naissance du contrat
- Le don crée du lien social : la kula
Hier en fin de journée, j'ai eu la chance d'être invité par Xavier à assister à la présentation des travaux de Jacqueline Winnepenninckx-Kieser, doctorante à l'IAE de Toulouse, qui effectue depuis 2002 une recherche pour sa thèse sur le thème " Le don en B 2 C ". Don doit s'entendre aussi ici en tant que cadeau de programme de fidélité .
La problématique du cadeau , de la récompense pour le client est encore une matière en devenir ; on jouen encore aujourd'hui (habilement) sur la notion valeur - perçue / valeur réelle. Il reste beaucoup à faire er Jacqueline dévoile quelques pistes
Il y a beaucoup de matière, de référence, une méthodologie scientifique, beaucoup de bon sens. Il y a beaucoup à lire et à apprendre ou ré-apprendre. Petit extrait ...
Donner est une façon de rendre
« Dieu paie de sa personne en donnant son fils, le Christ, afin de racheter le péché originel », c’est qu’Alain Milon appelle la figure chrétienne du don : « Je donne car je dois mais je me rachète ; je donne pour effacer ma dette » Dans les relations de la marque avec les consommateurs , est-ce que cette « figure » ne pèse pas sur le cadeau ? Le cadeau comme réparation de préjudices subis par le consommateur existe déjà, sous forme financière le plus souvent : rabais obtenu sur le prix d’une marchandise ou fourniture de services ou de produits gratuits, en cas de défaut du produit ou de retard de livraison. ...
Le don est d’abord un acte, un événement
Reprenant un poème en prose de Baudelaire, intitulé La fausse monnaie , Alain Milon montre l’importance de la mise en scène lors d’un don-charité, qui supplante la valeur de la somme donnée ... L’émotion ressentie grâce à l’effet de surprise et à l’étonnement aura un impact non négligeable sur l’attitude de la consommatrice.
Le don crée de la reconnaissance
Selon Aristote cité par l’auteur, le don n’est jamais gratuit, et crée une dette , le donateur-créancier-bienfaiteur anticipe un retour qui vient plus ou moins vite de la part du débiteur-obligé. Même si Nietzsche a situé cette notion de dette dans une perspective de dette positive, et affirme la responsabilité active du débiteur,.... En effet, la logique du don est-elle à redécouvrir dans les relations marchandes pour les humaniser ou devons-nous considérer les « pensées de derrière » comme prééminentes dans l’acte de donner ? Ne sommes nous pas encore et toujours au cœur du vieux débat sur la nature profonde de l’homme : est-elle « bonne » ou « mauvaise »... ?
Dans le cadeau en marketing , cette dette créée par le don est tout à fait présente à l’esprit des marketers qui décident de ce type d’action : l’intention est bien de susciter dans l’esprit du consommateur une attitude de débiteur dont il ne se sortira que par un acte libérateur : se rendre sur le lieu de vente pour recevoir le cadeau annoncé et acheter le rouge à lèvres qui se trouve à côté de la caisse, écrire ou téléphoner pour commander des marchandises qui amortiront les frais d’envoi du cadeau espéré, renouveler ses achats….
Le don comme prémisse du contrat : le hau, la mana, et la naissance du contrat
Du donataire ou du donateur, lequel a le plus de pouvoir ? Pour Alain Milon, « le don serait plutôt le lieu d’une réciprocité reposant sur un contrat tacite prévoyant l’équilibre quantitatif des choses données » , les aspects qualitatifs sont plus délicats à analyser et conduit l’auteur à dire que « toute la finesse des relations sociales consiste justement à faire croire que le don est gratuit et donc non obligé et non intéressé » ...
L’angle du « contrat » issu du cadeau fait au consommateur , peut être également considéré puisque l’achat espéré en retour (réciprocité du don) fait effectivement l’objet d’un contrat classique de vente mais les enjeux, à l’échelle de l’individu, sont nettement moins importants que dans les relations d’affaires.... l’efficacité du retour dépend effectivement de la situation du don : la façon dont la chose est donnée importe plus que la chose donnée : il est important de faire « croire que le don est gratuit et donc non obligé et non intéressé », qu’il est la preuve d’un lien affectif plus que de la préoccupation du donneur à être payé en retour.
Le don crée du lien social : la kula
Pour Alain Milon, « la figure de la kula est intéressante » car elle montre que « les réseaux de sociabilité mis en place avec le cercle de la kula ,( ...), sont tantôt régis par des régulations marchandes tantôt par des régulations amicales et communautaires »
On retrouve en marketing ce double objectif de la marque : à court terme espérer plus de ventes, à moyen et long terme créer un univers de sympathie avec les consommateurs , garantie de la pérennité de l’entreprise.
Faire croire à l’authenticité des « sentiments » de la marque envers ses acheteurs est difficile. Mais en quoi les liens créés par une marque seraient-ils par nature moins « bons » ou moins « authentiques » que ceux qui sont créés entre deux tribus ou entre les membres d’une même société ? . Le souci de pérennité d’une marque a davantage d’enjeux que le seul profit des actionnaires. La permanence d’un certain environnement commercial est peut-être aussi important pour le consommateur avec la confiance qui s’attache à la marque , que la preuve d’une « authenticité » des sentiments qui émaneraient de cette marque ....
En guise de conclusion
Le cadeau en marketing serait représentatif de l’incertitude et de la richesse des relations humaines : don sans contrepartie précise à attendre a priori parce que les réactions du consommateur , individu de chair, de sang et d’esprit ne sont pas strictement paramétrables mais symbole de la relation humaine, bâtie sur la reconnaissance de l’autre « je te donne pour te remercier d’être là pour me permettre d’exister » mais « je te donne parce que mon intérêt est que tu me donnes quelque chose en retour, qui soit plus important pour moi que ce que je te donne ». Je donne un stylo à mon client pour qu’il me dise merci, me signifiant ainsi qu’il reconnaît que j’existe, qu’un lien s’est créé et pour qu’il pense à moi plutôt qu’à mon concurrent quand il aura un achat à faire.
Ecrit par Jean-Pierre le Jeudi 8 Juin 2006, 16:14 dans "CRM - Fidélisation" Lu 4049 fois.
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Commentaires
Don et Musique
Carl Hallard - le 09-07-06 à 23:45 - #
Un exemple concret du système de don : www.jamendo.com
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Votre avis sur ma conférence
Je reviendrai, c sûr ! - le 02-08-06 à 14:40 - #
Bonjour,
Je suis honorée de l'intérêt que vous avez porté à ma conférence du 7 juin dernier (et "enchantée" de faire partie de vos "petits bonheurs"..:-)). Je suis sensible à la retranscription du premier texte que j'ai publié sur ce thème en avril 2002, que je trouve encore assez pertinent. Seulement il est à mon goût maintenant un peu "court" dans la mesure où il reposait essentiellement sur l'interprétation d'un seul ouvrage. Mais c'est vrai que les articles universitaires qui ont suivi sont peut-être moins faciles d'accès...:-)) cf. http://jwkieser.free.fr.
Par ailleurs, je suis intéressée par les applications concrètes que vous pouvez rencontrer dans votre expérience professionnelle (Cofinoga et S'Miles). Est-ce que la vision "mythique" des marques (au sens attraction/répulsion, "démon/ange", joue un rôle réel dans la perception de la marque (qui "donne" dans les programmes de fidélisation) par le consommateur?
Bien cordialement
Jacqueline
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Communauté virtuelle, obligation de générosité ?
Jean-Pierre - le 06-12-06 à 22:50 - #
Aziz vient de réaliser une belle synthèse sur le sujet, ici
Le mot "virtuel" rajoute toute la différence d'appréciation sur le sujet.
Mais pourquoi parler aussi facilement de communautés dans cet univers ?
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Suite des travaux en 2008
Jean-Pierre - le 06-10-08 à 12:08 - #
Extrait pour démarrer : ... " Centrés autour de trois types de bénéfices : utilitaires, hédoniques et sentiment de reconnaissance, ces travaux s’intéressent peu au sens donné par le client au cadeau qu’il reçoit ... le mécanisme bien connu de la réactance psychologique (Brehm, 1966 ; Darpy et Prim-Allaz, 2006). Le risque que le consommateur rejette la marque qui lui offre le cadeau dépend du sens qu’il lui accorde
manager-marketeur.viabloga.com/files//Winnepenninckx_Kieser_Bertandias_final_Venice2008.pdf
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